Poésie du Jeudi chez les Croqueurs de Mots, thème « l’hiver» proposé par Fanfan
5 mars
« Pas un oiseau ne crie. L’hiver a pétrifié la vie. Le monde
attend son réveil. La neige, la chute d’eau, les nuages, le
silence même sont en suspens. Un jour, les choses reprendron-
dront leur cours. La chaleur descendra du ciel et le flux prin-
tanier gonflera les tissus de la nature. Les veines des bêtes
battront d’un sang neuf. Les thalwegs se rempliront d’eau,
la sève des arbres pulsera. Les feuilles perceront la gangue
des bourgeons, les neiges murmureront qu’elles veulent
retourner au lac, les larves écloront, les insectes sortiront
de la terre. Un ruissellement monstrueux nappera les ver-
sants. La vie coulera sur les pentes, les bêtes descendront
boire et les nuages d’été ramperont vers le nord. Pour l’ins-
tant je suis seul à me débattre dans la poudreuse pour ren-
trer chez moi.
Patin à glace, le soir. Une heure à glisser sur la laque.
Avec les visions qui défilent sous mes yeux – plaques
d’obsidienne, zébrures bleu lagon : une pub pour parfum
des années 80.
Sur la glace, un îlot de neige épargné par le vent. Je m’y
échoue pour un cigarillo. Les craquements du Baïkal se
répercutent dans mes os. Il fait bon vivre près d’un lac. Le
lac offre un spectacle de symétrie (les rives et leur reflet)
et une leçon d’équilibre (l’équation entre l’apport des
affluents et le débit des exutoires). Pour que se maintien-
nent les niveaux hydrographiques, il faut une précision
miraculeuse. Chaque goutte versée au crédit de la vasque
doit être redistribuée.
Vivre en cabane c’est avoir le temps de s’intéresser à des
choses pareilles, le temps de les écrire, le temps de se relire.
Et le comble, c’est qu’une fois tout cela accomplit, il reste
encore du temps.
Au carreau ce soir, la mésange, mon ange."
Dans les forêts de Sibérie (Février-Juillet 2010) p.79-80 de Sylvain Tesson, édition Gallimard
Coup de coeur pour ce livre, récit de six mois de solitude au bord du lac Baïkal en Sibérie. L'auteur raconte au jour le jour sa vie de citadin transformée en ermite. Le temps de lire ses livres choisis pour cet exil, le temps d'observer la nature infiniement, ses couleurs, ses bruits. La peur des ours, les rencontres improvisées avec les habitants éloignés du lac, les exercices physiques à couper du bois pour se chauffer, se réchauffer le moral avec la vodka, les nombreuses explorations en traîneau, en raquettes. L'auteur, avec son écriture poétique, nous fait partager au plus près sa vie au bord du lac Baïkal.